Dino Buzzati, Nous sommes au regret de...
« J'écris avec un crayon. Un vieux bout de crayon, trouvé dans une vieille boîte, par hasard. Je l'ai taillé et sur le peu de papier blanc qui me reste ce soir, j'écris. » Avec un vieux bout de crayon ou autre chose, sur des feuilles de papier blanc ou non, pendant plus de vingt ans, Dino Buzzati tint une manière de journal. Singulier journal composé aussi bien de choses vues, que de saynètes ou de véritables récits courts, proches de la nouvelle, où constamment au-delà de l'événement, l'instantané même apparaît transfiguré. Jamais Buzzati n'exprima dans une forme aussi concise et dure le combat quotidien qu'il mena contre ses chimères, la fuite du temps, l'absurdité de la condition humaine, la vanité et peut-être par-dessus tout la hantise de vieillir et la solitude. Une sorte de bréviaire de vie.
Quand BOB a proposé pour la lecture de novembre un ouvrage de Dino Buzzati, j’ai sauté sur l’occasion. Je ne connais que très peu l’auteur, et je le connais surtout en temps que novelliste (« Le Veston ensorcelé », « Le K »…). Je sais par ailleurs à quel point Le désert des Tartares est apprécié, et il est d’ailleurs prévu que je le lise un jour (je crois qu’il me faudrait plusieurs vies pour tout lire).
Je ne savais pas trop à quoi m’attendre avec Nous sommes au regret de… Il faut dire que j’avais lu très rapidement la quatrième de couverture, sans trop me poser de questions. Nous sommes au regret de est un recueil de notes, de fragments de journaux intimes, de nouvelles, publié en 1960 presque « en cachette » et publié de nouveau aujourd’hui et complété par des textes inédits, des extraits de revue de presse, le tout provenant d’un journal tenu par Buzzati au cours de sa vie. Il s’ouvre sur deux magnifiques hommages à l’auteur, écrits par Domenico Porzio, journaliste et écrivain italien, et Yves Panafieu, le traducteur.
Bon, soyons honnête, je mentirais si je disais que j’ai adoré ce recueil. Pourtant, je l’ai lu assez rapidement, du fait du découpage en fragments. J’ose dire que je n’ai pas trop compris certaines histoires, comme « Problèmes hospitaliers », ou strictement rien compris à d’autres, comme « Perquisition ». D’autres encore m’ont véritablement déplu (« Enumération »).
Pourtant, certaines histoires ont commencé à sortir du lot parce qu’elle font réfléchir (« Soumis » : un homme est condamné à 10 mois de prison et 7 millions de dommages et intérêts pour n’avoir pas été capable de dire non) ou sourire (« L’étudiante » : une jeune fille réussit à l’école grâce à sa plastique de rêve… sauf en maths car son professeur est une femme).
D’autres se sont révélées être de véritables merveilles :
- « Photographie de groupe » (une vieille dame regarde une vieille photographie et l’on devine le pire…),
- « L’ibi » (un homme commet un meurtre est fait tout pour être accusé… en vain),
- « La maison idéale » dont la formule finale m’a beaucoup fait rire,
- « L’homme qui… » (quand se mêlent curiosité et cruauté),
- « Le salut » (hymne à l’écriture),
- « Le rendez-vous raté » (sans aucun doute, une de mes préférées),
- « Petite progression » (ou comment évolue un couple),
- « La panique du roi » (pourquoi faire simple…),
- « Le plus beau du monde » (concerne nos amis les chiens)
- et enfin (et surtout !) : « Un jour viendra », un poème magnifique qui nous prouve que Dino Buzzati avait plusieurs cordes à son arc.
Il faut toujours persévérer, il y a toujours des pépites là où on ne les attend plus.
Merci à BOB et aux éditions Robert Laffont pour l’envoi de ce livre !
L’œuvre en quelques mots...
« Mais toi, ce jour-là, y étais-tu ? Est-ce que tu m’as attendu ? Et si tu m’as attendu, combien de temps ? Moi je courais pour arriver à l’heure, haletant, trébuchant, on aurait pu me prendre pour un fou. Mais il aurait fallu que je vole. J’étais loin, rejeté, inopinément de la vie, à une telle distance de toi, qui ne savais pas, que cela m’effrayait.
Ainsi, lorsque les aiguilles de l’horloge eurent parcouru un tel chemin qu’il était impossible de penser que tu pusses encore être là, je cessai de courir et marchai lentement, lentement ; je suis arrivé aujourd’hui seulement, mais toi, tu n’es plus là. »
« Pour se souvenir de toi,
dans le monde entier, il n’y aura
que ces mots,
que tu ne pourras pas comprendre
parce que tu ne les as jamais compris.
Mais ils apaiseront un peu
ta peine et ta solitude. »